Regards du monde islamique sur son passé : histoire, patrimoine et archéologie

Im Auditorium du Louvre findet am 29. Juni 2017 ein Kolloquium zum Thema ‚Regards du monde islamique sur son passé : histoire, patrimoine et archéologie‚ statt.

 

Zum Programm:

The Islamicate World Facing its Past: History, Heritage, and Archaeology
Endangerment and destruction of monuments, archaeological sites and objects, whether antique, medieval or modern, in the present Islamicate World, notably in Syria and Iraq, have received a wide – though unequal – media coverage and have deeply affected the international community. Many debates, conferences and publications have focused on these threats and have sometimes attempted to delineate a hypothetic genealogy for an “ideology of destruction” in the Islamicate World. This conference would like to address, in a more global and constructive perspective, the relation of the Islamicate world with its past, both antique and medieval, in its cultural and material dimensions. The first part of this conference will focus on the pre-modern period, before the introduction of the European notion of Heritage and of archaeological and museums undertakings. These modern developments will be addressed in a second part, notably through the issue of interactions between Europe and the Islamicate world around heritage ideas and policies

Programme

10h
Introduction

Yannick Lintz et Carine Juvin, musée du Louvre

10h15
Les monuments antiques de Damas au Moyen Âge : interprétations, évolutions et usages

par Élodie Vigouroux, Institut Français du Proche-Orient, Beyrouth

10h45
Remplois et références à l’Antique dans l’architecture des califats d’Occident

par Patrice Cressier, CNRS, CIHAM-UMR 5648, Lyon

11h15
La rénovation des mosquées du Caire à la fin du Moyen Âge : une patrimonialisation avant l’heure ?

par Julien Loiseau, université Paul-Valéry Montpellier-3 / CRFJ, Jérusalem

11h45
Les monuments pharaoniques menacés de destruction ? La magie arabe et la chasse aux trésors dans l’Égypte médiévale

par Christopher Braun, University of London, The Warburg Institute, Londres

12h15
Débat

14h30
Appropriations, copies, et revivals : des passés utilisables dans l’histoire islamique

par Finbarr Barry Flood, Institute of Fine Arts & Department of Art History, New York University

15h
L’Invention patrimoniale de l’Occident musulman médiéval : Espagne, Sicile et Maghreb

par Nabila Oulebsir, université de Poitiers

15h30
Les politiques archéologiques dans l’empire ottoman

par Zeynep Celik, New Jersey Institute of Technology / Columbia University, New York

16h
Les politiques du patrimoine dans le monde arabe moderne

par Nasser Rabbat, Massachusetts Institute of Technology, Boston

16h30
Débat

 

Résumés et biographies
10h15
Les monuments antiques de Damas au Moyen Âge : interprétations, évolutions et usages
par Élodie Vigouroux, Institut Français du Proche-Orient, Beyrouth

Village de l’âge du Bronze, cité araméenne, capitale de province hellénistique, ville nabatéenne, métropole puis colonie romaine et archevêché byzantin, Damas aurait été occupée sans discontinuer depuis le IIIe millénaire. C’est donc d’une ville dotée d’un riche passé dont s’emparèrent les troupes musulmanes en 634. Déjà l’époque byzantine avait modifié l’aspect de la ville romaine, tout en conservant son cadre monumental. Après la conquête, puis quand Damas devint capitale de l’immense empire omeyyade, s’inscrivant dans la continuité, de nouvelles structures y furent bâties, logées à l’intérieur de ce décor hérité. S’instaura alors entre la population et les vestiges de ce passé, une relation mêlant respect et pragmatisme, tandis que des traditions et légendes attachées aux restes antiques, devenus mystérieux, apparaissaient, attestant de la conservation de nombreux éléments sur le long terme. Toutefois, face à cette source presque inépuisable de matériaux et de décor, s’instaura également une « économie de la ruine » qui s’intensifia au XIIe siècle, sous le pouvoir fort du prince Nūr al-Dīn, déterminé à s’approprier la ville tout en s’inscrivant dans son histoire. Pour les siècles suivants, les textes, comme les monuments, témoignent du recyclage inévitable des vestiges antiques qui s’accéléra sans toutefois les faire disparaître. Aujourd’hui encore, Damas présente au visiteur un véritable palimpseste urbain où se mêlent les traces de son passé antique, médiéval et moderne.

Élodie Vigouroux est historienne et archéologue, spécialiste de la Syrie médiévale. Elle est l’auteur d’une thèse intitulée Damas après Tamerlan : étude historique et archéologique d’une renaissance (1401-1481), soutenue en 2011 à l’université Paris-Sorbonne,  récompensée en 2012 par le Prix de la Société française d’Histoire urbaine. Ses recherches post-doctorales portent sur les activités commerciales et les productions artisanales de Damas et d’Alep au Moyen Âge. Membre du programme Atlas du monde musulman médiéval (UMR 8167), elle est également co-directrice, depuis 2014, de la mission archéologique (Ifpo/Cnrs/Fondation Max Van Berchem) du site médiéval Khirbat al-Dusaq en Jordanie. Elle est l’auteur de plusieurs articles parmi lesquels : « La Mosquée des Omeyyades de Damas après Tamerlan : chronique d’une renaissance (803/1401-833/1430) », Bulletin d’Études Orientales, 61, 2012, p. 124-159 ; « Les Banū Manǧak à Damas : capital social, enracinement local et gestion patrimoniale d’une famille d’awlād al-nās à l’époque mamelouke », Annales Islamologiques, 47, 2014, p. 197-233 ; « Girault de Prangey à Damas à la lumière des clichés conservés à la Bibliothèque nationale de France », Histoire Urbaine, 46, 2016, p. 87-114.

10h45
Remplois et références à l’Antique dans l’architecture des califats d’Occident
par Patrice Cressier, CNRS, CIHAM-UMR 5648, Lyon

Tout au long du siècle dernier, la question de l’originalité de l’architecture islamique d’al-Andalus au regard du legs de l’Antiquité a fait l’objet d’acerbes polémiques, s’inscrivant dans un conflit idéologique plus profond, entre les tenants d’une rupture totale, conséquence de la conquête arabo-islamique, et ceux d’une continuité presque absolue des modèles hérités du répertoire classique.
Au-delà des lieux communs qui abondent à propos des modèles de l’architecture religieuse des émirs puis des califes omeyyades de Cordoue, quels sont les indices dont nous disposons réellement pour distinguer entre ce qui ne serait que le simple maintien de supposées traditions préétablies et les choix délibérés qu’auraient effectués les architectes du pouvoir ? Dans cette perspective, le recours aux spolia est une composante essentielle à prendre en compte, tout comme la réalisation, concurrente ou complémentaire, de copies de l’antique.
Dans le cadre de ce qui a été décrit parfois comme une compétition, durant la seconde moitié du Xe siècle, entre les deux califats omeyyade d’al-Andalus et fatimide d’Ifrîqiya, il est indispensable de s’intéresser au second pour mieux comprendre le premier, en observant, non seulement l’importance de l’écart existant entre les formules employées par l’un et par l’autre, mais aussi combien s’opposent, sans jamais se compléter vraiment, les sources textuelles et les sources archéologiques.
L’affirmation d’une idéologie, la recherche d’une légitimation tout comme l’admiration réelle pour l’œuvre des Anciens – et parfois les simples contingences pratiques – se combinent dans l’esprit des souverains commanditaires lors de la mise en chantier de leurs programmes architecturaux de prestige.

Patrice Cressier, chargé de recherche au CNRS (CIHAM-UMR 5648, Lyon) jusqu’en 2015, a été directeur des études pour l’Antiquité et le Moyen Âge à la Casa de Velázquez (Madrid) de 1994 à 2002. Archéologue médiéviste, responsable de programmes archéologiques portant sur l’organisation des espaces ruraux (Andalousie orientale, Espagne), ou la genèse de la ville islamique (Maroc – Rif, Hawz de Marrakech et frange présaharienne – et Tunisie – fouilles de la ville califale fatimide de Sabra al-Mansûriyya –), il a centré un autre volet de ses recherches sur le décor architectural et son interprétation en Islam d’Occident. Il a publié récemment deux dossiers thématiques avec A. NEF (« Fatimids and the central Mediterranean » dans le Journal of Islamic Archaeology, 2, 2015, et Les Fatimides et la Méditerranée centrale dans la REMMM, 139, 2016) ainsi que, avec S. GILOTTE et M.-O. ROUSSET, un numéro monographique de la revue Médiévales (70, 2016) sur les Lieux d’hygiène et lieux d’aisance au Moyen Âge en terre d’Islam.

11h15
La rénovation des mosquées du Caire à la fin du Moyen Âge : une patrimonialisation avant l’heure ?
par Julien Loiseau, université Paul-Valéry Montpellier-3 / CRFJ, Jérusalem

Les historiographes égyptiens de la fin du Moyen Âge témoignent d’un sens aigu de la valeur proprement historique des monuments du Caire, tout particulièrement des mosquées les plus vénérables de la capitale égyptienne. C’est évidemment dans l’œuvre majeure d’al-Maqrizi (1364-1442), les Khitat, que cette préoccupation se déploie avec le plus grand luxe de détails et le souci d’enregistrer les témoins matériels de cette histoire monumentale. Or, passées les années les plus noires de la crise et de la ruine, qui, à l’aube du XVe siècle, ont motivé la rédaction des Khitat, Le Caire fait peau neuve et, dans le grand mouvement de reconstruction qui s’empare de la capitale égyptienne, se fait jour le souci de rénover, embellir et préserver certaines de ses plus anciennes mosquées. On tentera de comprendre les motifs de cette préoccupation très neuve au XVe siècle, en lien avec les mutations qui affectent alors la nature et le nombre des lieux de culte, en lien également avec les recompositions de l’espace urbain du Caire, en lien enfin avec la mainmise croissante de l’État mamelouk sur les grandes fondations pieuses de la capitale égyptienne. Au-delà du respect dû aux lieux de prière et à la mémoire de leurs bâtisseurs les plus fameux, on se demandera si Le Caire au XVe siècle ne témoigne pas d’une patrimonialisation avant l’heure.

Julien Loiseau est historien, maître de conférences HDR à l’université Paul-Valéry Montpellier-3 et membre junior de l’Institut universitaire de France. Il dirige actuellement le Centre de recherche français à Jérusalem. Il a publié notamment Reconstruire la Maison du sultan. Ruine et recomposition de l’ordre urbain au Caire, 1350-1450 (2010) ; Les Mamelouks. Une expérience du pouvoir dans l’Islam médiéval (2014) et, avec K. Berthelot, V. Lemire et Y. Potin, Jérusalem. Histoire d’une ville monde, des origines à nos jours (2016).

11h45
Les monuments pharaoniques menacés de destruction ? La magie arabe et la chasse aux trésors dans l’Égypte médiévale
par Christopher Braun, University of London, The Warburg Institute, Londres

Au Moyen Âge, de nombreux chercheurs de trésors hantaient les temples, pyramides et monuments pharaoniques à la recherche des richesses qu’ils croyaient enterrées par les civilisations et souverains pré-islamiques. La découverte de ces trésors ne se faisait pas seulement à l’aide de pioches et de pelles, mais exigeait des rites magiques tels que des formules magiques, des suffumigations et des sacrifices d’animaux.
Un genre littéraire dédié uniquement à la découverte des trésors a vu le jour en Égypte fatimide. Ces « livres des trésors enfouis » (kutub al-maṭālib) guident les aventuriers vers les endroits où des richesses et objets précieux sont apparemment enterrés et fournissent les détails des rites magiques à observer. Égyptologues et archéologues européens du début du XXe siècle ont déploré l’existence de ces livres. D’après eux, ces textes incitaient les Égyptiens à détruire les anciens monuments sans aucun égard pour leur valeur historique et culturelle.
La communication retracera l’histoire de ces textes magiques arabes et présentera la « rencontre européenne » avec cette littérature. Elle vise à illustrer la fascination qu’exerçaient les monuments et sites archéologiques de l’Égypte antique à travers les siècles et offre un regard différent sur le passé de l’Égypte pharaonique durant le Moyen Âge.

Christopher Braun vient de soutenir sa thèse de doctorat au Warburg Institute à Londres qui porte sur le phénomène de la chasse aux trésors et le pillage des tombes dans l’Égypte médiévale. Il est actuellement chercheur postdoctoral à l’université de Zurich. Il a publié en 2016 une édition critique, traduction, et analyse d’un traité alchimique arabe intitulé Kitāb Sidrat al-muntahā.

14h30
Appropriations, copies, et revivals : des passés utilisables dans l’histoire islamique
par Finbarr Barry Flood, Institute of Fine Arts & Department of Art History, New York University

Cette intervention explorera la manière dont des histoires réifiées en objets, images et monuments ont été mobilisées par les élites prémodernes dans le monde islamique. En abordant des exemples depuis la Syrie omeyyade jusqu’au sultanat de Delhi, elle mettra en relief la perception des passés matérialisés comme une importante ressource à exploiter à diverses fins. L’utilité du passé se révèle à travers l’appropriation (conceptuelle et littérale) de matériaux plus anciens, la copie sélective de formes antérieures, et le renouveau de styles associés à des cultures antéislamiques ou des périodes islamiques antérieures. Ces mobilisations matérielles soulignent la valeur généalogique que l’Histoire revêt pour les élites islamiques cherchant à se forger des connections avec différents passés valorisés.

Finbarr Barry Flood est professeur au Département d’Histoire de l’Art et à l’Institute of Fine Arts de l’université de New York. Ses recherches, initialement centrées sur les débuts de l’Islam au Proche-Orient et dans la zone allant de l’Afghanistan au Nord de l’Inde, portent plus généralement sur les dimensions inter-culturelles et la transmission de la culture matérielle, et sur la théorie et la pratique de l’image dans le monde islamique, ainsi que sur les questions d’historiographie. Parmi ses publications figurent : The Great Mosque of Damascus: Studies on the Makings of an Umayyad Visual Culture, 2001 ; Piety and Politics in the Early Indian Mosque, 2008 (éditeur) ; Objects of Translation: Material Culture and Medieval ‘Hindu-Muslim’ Encounter, 2009 ; Globalizing Cultures: Art and Mobility in the Eighteenth Century, 2011 (co-éditeur).

15h
L’Invention patrimoniale de l’Occident musulman médiéval : Espagne, Sicile et Maghreb
par Nabila Oulebsir, université de Poitiers

L’aire culturelle définissant l’« Occident musulman médiéval » apparaît précocement au XIXe siècle avec la construction d’une unité de représentations de la Méditerranée au Moyen Âge, fournie par les artistes, architectes et archéologues européens qui, au-delà de la constatation des caractéristiques paysagères communes entre les rives sud et nord de la Méditerranée, insistent sur la formation des « paysages historiques », la circulation des formes, des objets et des acteurs entre ces deux rives.
Il s’agira à travers cet exposé de scruter d’une part les modalités de définition de l’unité de style entre les deux rives (Jones, Duthoit) ainsi que la conceptualisation de cette aire culturelle par l’école historique française, incluant historiens et historiens de l’art (Bertaux, Mâle, Lévi-Provençal, Braudel, Marçais), et d’autre part d’analyser, dans la contemporanéité du temps présent, la réappropriation patrimoniale de cet héritage médiéval par les sociétés du sud.

Nabila Oulebsir est maître de conférences HDR à l’université de Poitiers et chercheur associé au Centre Georg-Simmel (UMR 8131 CNRS, EHESS) où elle a assuré la coordination scientifique du projet de formation recherche « Frontières du patrimoine : circulation des savoirs, des objets et œuvres d’art » (CIERA, 2011-2015, publication à paraître). Son habilitation à diriger des recherches a fourni une synthèse d’« Histoire transnationale du patrimoine en Méditerranée contemporaine. Architecture, musées et collections », tout en proposant une réflexion inédite autour de la figure d’un conservateur des musées, intitulée « Jean Alazard, une intelligence européenne de l’histoire de l’art ». Parmi ses travaux : Les Usages du patrimoine / Monuments, musées et politique coloniale en Algérie, 1830-1930 (Éd. MSH, 2004) ; Alger, paysage urbain et architectures, 1800-2000 (L’Imprimeur, 2003, avec J.-L Cohen et Y. Kanoun) ; L’Orientalisme architectural, entre imaginaires et savoirs (Picard, 2009, avec. M. Volait), et un ouvrage à paraître chez Picard sur les architectures d’Orient en France (2017-2018, avec B. Toulier).

15h30
Les politiques archéologiques dans l’empire ottoman
par Zeynep Celik, New Jersey Institute of Technology / Columbia University, New York

L’appropriation d’un patrimoine aux nombreuses strates au sein de l’identité ottomane, en partie en réaction à l’intérêt occidental pour les Antiquités, s’est accompagnée de nouvelles lois, qui ont transformé les pratiques archéologiques à l’intérieur des frontières de l’empire. Cette intervention se propose d’explorer le rôle joué par l’État ottoman et par le Musée Impérial d’Istanbul  dans la recherche archéologique et la muséologie au Moyen-Orient à la fin du XIXe siècle.

Zeynep Çelik est professeure émérite au NJIT-Rutgers et professeure associée à l’université de Columbia. Ses publications incluent The Remaking of Istanbul (1986, Institute of Turkish Studies Book Award), Displaying the Orient (1992), Streets (1993, co-éditeur), Urban Forms and Colonial Confrontations (1997), Empire, Architecture, and the City (2008, Society of Architectural Historians Book Award), Walls of Algiers (2009, co-éditeur), Scramble for the Past (2011, co-éditeur), Camera Ottomana (2014, co-éditeur), et About Antiquities (2016). Elle a aussi été co-commissaire de plusieurs expositions, parmi lesquelles : Walls of Algiers, au Getty Research Institute, Los Angeles (2009), Scramble for the Past, SALT, Istanbul (2012), et Camara Ottomana, Koc University, Istanbul (2015). Zeynep Çelik a reçu des fellowships prestigieux du John Simon Guggenheim Memorial Foundation (2004), de l’American Council of Learned Societies (1992, 2004, et 2011), et du National Endowment for the Humanities (2012).

16h
Les politiques du patrimoine dans le monde arabe moderne
par Nasser Rabbat, Massachusetts Institute of Technology, Boston

Les récents exemples de destruction délibérée du patrimoine en Syrie, Irak, Yémen et en Lybie ont retenu l’attention du monde occidental et suscité une condamnation inconditionnelle. Mais ils ont aussi souligné le contexte historique et politique complexe sur lequel a pris forme le concept de patrimoine dans le monde arabe moderne au cours des deux derniers siècles. Depuis les conceptions romantiques des premiers orientalistes, tour à tour pilleurs et « conservationnistes » au début du XIXe siècle, jusqu’à la course contemporaine à la construction de nouveaux musées clinquants, et aux objets pour les remplir, dans les cités néo-capitalistes du Golfe, la notion de patrimoine a enduré une série d’infléchissements politiques et culturels qui l’ont réduit à un instrument idéologique et de propagande, brandi par des factions rivales en guerre, comme survenu récemment à Palmyre.
Ce bref exposé retracera l’itinéraire tourmenté de la notion de patrimoine dans le monde arabe moderne, dont l’importance s’est définie au gré de l’occidentalisation, du colonialisme, du nationalisme, du panarabisme, du socialisme, du totalitarisme, du mondialisme, et enfin de l’islamisme, en plus de la véritable rapacité des collectionneurs. Il tentera dans le même temps de comprendre et d’expliquer l’interconnexion de ces forces historiques et leurs effets cumulatifs sur les usages et mésusages du patrimoine.

Nasser Rabbat est professeur et directeur du Programme Aga Khan pour l’architecture islamique au MIT de Boston. Il est l’auteur de plusieurs monographies et de plus d’une centaine d’articles. Ses publications récentes sont The Destruction of Cultural Heritage: From Napoléon to ISIS, publication en ligne co-édité avec Pamela Karimi et publiée en décembre 2016, et al-Naqd Iltizaman (Criticism as Commitment) (2015), qui traite des racines et des conséquences du « Printemps arabe ». Il a récemment publié plusieurs essais sur les atteintes contre le patrimoine syrien dans les journaux et revues Artforum, Critical Inquiry, The International Journal of Islamic Architecture, al-Hayat et al-Arabi al-Jadid. Il a également conçu, avec Filiz Çakır Phillip, l’exposition Syria: A Living History, à l’ Aga Khan Museum de Toronto (octobre 2016 – mars 2017).